Une rencontre internationale s’est tenue dans la ville de Dakhla, au Maroc, les vendredi et samedi 20 et 21 juin 2025, autour du thème : « La complémentarité entre journalisme de qualité et éducation aux médias ».
Cet événement a été organisé par la Commission provisoire chargée de la gestion du secteur de la presse et de l’édition, avec la participation de journalistes, chercheurs, experts et universitaires venant du Maroc ainsi que de plusieurs pays arabes, africains, européens, d’Amérique du Nord et du Sud, et d’Asie.
Après la séance inaugurale du forum, marquée par des interventions officielles du président de la commission provisoire, du représentant du ministère de la Communication — secteur de la communication — ainsi que du Conseil de la région Dakhla-Oued Eddahab, plusieurs exposés ont été présentés.
Ces présentations se sont distinguées par leur profondeur, leur analyse rigoureuse et leur diagnostic réaliste de l’état actuel de la pratique journalistique et de l’éducation aux médias. Elles ont abordé, avec lucidité, les problématiques liées à cette thématique ainsi que les conséquences et retombées qui en découlent.
Après l’exposé d’un ensemble d’expériences nationales dans divers pays, portant sur les réponses face aux dérives observées dans le domaine médiatique, et à la lumière des discussions riches et approfondies ayant constitué un espace de dialogue, d’échange d’expériences et d’interaction entre diverses approches et sensibilités autour d’une question aussi complexe que ambiguë, les participants et présents sont convenus de ce qui suit :
Diagnostic préliminaire
Il est fondamental de rappeler que le journalisme existe pour incarner la liberté, la pluralité, la divergence et la diversité, dans le cadre d’un système professionnel et juridique cohérent. Il vise à contribuer à la réalisation du développement durable et à en accélérer le rythme.
Ainsi, la pratique médiatique s’inscrit dans des objectifs nobles et des finalités élevées. Cela impose, dans les conditions et contextes actuels, la nécessité de procéder à une évaluation objective des parcours et des contextes dans lesquels le journalisme exerce ses missions.
Le journalisme de qualité joue également un rôle crucial dans l’éradication de tous les discours discriminatoires, haineux ou incitatifs à la violence. Il garantit le respect des valeurs humaines, leur défense, ainsi que la reconnaissance des droits humains et de la dignité humaine.
Par conséquent, l’acte d’écrire, de transmettre l’information, d’analyser et de critiquer constitue une responsabilité avant d’être un outil d’expression de la futilité, de la désinformation, de la diffamation ou d’atteinte à la vie privée, qu’elle soit individuelle ou collective.
Parmi les plus grands dangers qui guettent aujourd’hui la presse, les médias et la confiance du public dans le message médiatique, ainsi que dans sa véracité et son intégrité, figure le glissement vers des concepts erronés liés au populisme, à la recherche de l’audience, à la polarisation, et à l’usage de la désinformation dans le but d’atteindre des niveaux records de diffusion.
Dans ce contexte, il convient de rappeler que le journalisme de qualité fait face à des défis majeurs et multiples. En effet, de nombreux professionnels ont abandonné les valeurs, principes et standards du véritable professionnalisme — tels que l’objectivité, l’indépendance et l’intégrité — et ont accepté de devenir des victimes faciles de multiples pressions : usage abusif du scoop, faibles capacités de vérification et d’enquête, recours à des sources non fiables, et préférence pour le sensationnalisme et l’exagération dans la quête d’une large visibilité.
Les avancées technologiques dans le secteur de la communication et des médias ont également permis à un large public d’exercer une forme de pratique médiatique. L’accès à la profession de journaliste ou à l’exercice du droit à la liberté d’expression ne nécessite plus les critères stricts d’autrefois, mais simplement la possession d’un smartphone et d’une connexion internet.
Bien que cette évolution ait eu un effet positif en rendant l’expression et la publication accessibles à tous, favorisant ainsi la participation à la formation de l’opinion publique et à la prise de décision, et en renforçant le journalisme de proximité, elle a aussi soulevé des problématiques profondes et préoccupantes concernant la nature même du message médiatique, sa noblesse et sa crédibilité.
En effet, elle a ouvert la voie à la production de contenus médiatiques par des personnes n’ayant ni la formation, ni les qualifications minimales nécessaires pour accomplir cette noble mission. Il n’est donc pas surprenant d’assister à la domination de la futilité, de la désinformation, des fake news, de la diffamation, des insultes, des atteintes à la vie privée, et à l’usage des médias pour régler des comptes ou pratiquer le chantage.
Les réseaux sociaux sont ainsi devenus, à la lumière de tout ce qui précède, un terrain propice à ces dérives, un incubateur de graves déviations. Ils se sont transformés en canaux de diffusion de mensonges, de fausses informations, de discours discriminatoires, d’incitation à la haine et à la violence.
Cela constitue une menace sérieuse pour la socialisation des générations actuelles et futures, en particulier pour les enfants et les mineurs, naturellement dépourvus de l’esprit critique nécessaire pour discerner le danger des contenus qu’ils consomment.
La situation devient encore plus préoccupante lorsque l’on constate que certains professionnels eux-mêmes reprennent des fausses informations diffusées sur les réseaux sociaux, sans procéder à aucune vérification.
Si les fake news diffusées par des acteurs extérieurs sans aucun respect des standards de publication sont déjà dangereuses en soi, leur reprise et diffusion par des journalistes les rend encore plus graves et menaçantes.
D’un autre côté, le monde contemporain est confronté à des crises économiques complexes, à une grande fragilité sociale, ainsi qu’à des conflits politiques et géostratégiques qui ont engendré un climat préoccupant d’incertitude. Les vérités vacillent, les repères disparaissent, les idéologies claires se sont estompées, et les capacités de critique, de réflexion et d’analyse stratégique s’amenuisent.
De nombreuses mouvances, y compris certaines factions de droite modérée ou extrême, ont exploité cette confusion ambiante pour instrumentaliser des causes humaines telles que la migration, le déplacement ou l’asile, vidant ainsi l’ordre mondial de son identité humaniste, fondée sur des valeurs, des principes, la compréhension et la complémentarité entre civilisations et cultures.
Dans ce contexte, il est naturellement essentiel de souligner le rôle crucial et exceptionnel du journalisme de qualité et éthique dans la lutte contre ces menaces, ainsi que l’importance centrale du journaliste professionnel pour élever le niveau de conscience et de vigilance face aux dangers qui pèsent sur l’avenir de l’humanité tout entière.
Recommandations
Premièrement, souligner l’importance de l’éducation aux médias comme réponse aux dangers qui guettent le journalisme et les médias, ce qui impose son intégration dans tous les niveaux d’enseignement.
Il est important de rappeler que cette éducation dépasse le cadre d’une simple connaissance académique ou médiatique. Elle vise à développer l’esprit critique permettant de distinguer les contenus médiatiques, et constitue un levier fondamental pour rétablir la confiance entre les médias et le public. Il convient ici de rappeler que l’éducation aux médias n’est pas une fin en soi, mais un outil au service d’un journalisme de qualité.
Deuxièmement, créer des spécialités universitaires dédiées à l’éducation aux médias et fonder des centres de recherche spécifiques dans les universités pour approfondir les études et suivre les évolutions, en coopération avec les instances professionnelles. Cela s’inscrit pleinement dans le cadre des politiques publiques que les gouvernements doivent concevoir et doter de ressources adéquates.
Troisièmement, promouvoir une utilisation intelligente et prudente de l’intelligence artificielle, qui doit être mise au service du journalisme de qualité. Il faut rappeler que l’intelligence artificielle repose sur des algorithmes conçus par une pensée humaine.
Quatrièmement, inviter les gouvernements et les parlements à adopter une législation spécifique encadrant les réseaux sociaux, afin de préserver l’équilibre entre la liberté de presse, d’expression et d’accès à l’information, et les droits collectifs de la société.
Cinquièmement, reconnaître l’importance de l’éducation aux médias dans la promotion d’un journalisme de qualité ne doit en aucun cas servir d’alibi pour que les journalistes renoncent à leurs responsabilités face aux dérives observées. Cette mission relève aussi de leur devoir professionnel : vérification des faits, fiabilité des sources, rejet du sensationnalisme et refus de céder à la quête effrénée d’audience.
Sixièmement, cela implique que les journalistes ont un besoin permanent et urgent de formation et de perfectionnement pour rester à jour face aux transformations du secteur des médias.
Septièmement, la pratique d’un journalisme éthique est confrontée à un véritable problème en matière de références morales et de conduite professionnelle. Il est donc nécessaire d’adopter des chartes éthiques communes à l’ensemble des professionnels, mais aussi des codes internes propres à chaque institution médiatique.
Huitièmement, le journalisme de qualité fait également face à un défi majeur posé par certains propriétaires de médias, qui considèrent leur investissement comme un simple projet commercial orienté vers le profit. Cette logique financière, bien que compréhensible dans une perspective économique, vide le travail journalistique de son contenu, en compromet l’indépendance, l’objectivité et l’intégrité. Il devient donc urgent d’agir à ce niveau pour garantir un juste équilibre entre les droits des investisseurs et la production d’un service médiatique public de qualité, utile et productif.
Neuvièmement, il est indispensable de renforcer l’esprit critique aussi bien chez les professionnels que chez le public, dans leur interaction avec les informations, les analyses et les interprétations diffusées.
Dixièmement, accorder une attention particulière à la jeunesse, notamment aux enfants, en intensifiant la production de contenus médiatiques dédiés à cette tranche d’âge et en encourageant cette dynamique. Il faut aussi les protéger des diverses menaces auxquelles ils sont exposés via les réseaux sociaux et les médias, par une réglementation rigoureuse du contenu.
Onzièmement, renforcer les formes de coopération entre les organisations professionnelles du journalisme et les institutions médiatiques afin de promouvoir un journalisme de qualité, notamment à travers l’échange d’expériences et de compétences.
Douzièmement, il est essentiel de prendre conscience que l’un des rôles fondamentaux des journalistes est de favoriser les échanges culturels et civilisationnels entre les peuples à travers le monde, afin de lutter contre les dangers liés à la discrimination raciale et religieuse, à l’incitation à la haine et à la violence entre les nations, ainsi qu’à la dévalorisation de la dignité humaine. Cette mission vise à contrer les forces du conservatisme politique et économique à l’échelle mondiale.
Face à cela, il convient de renforcer la compréhension mutuelle entre les peuples et les civilisations, de diffuser les valeurs humanistes et de construire des ponts de coopération dans les domaines de l’éducation, des arts, des sciences, du sport et de toutes les activités humaines à haute valeur éthique.
Treizièmement , il faut reconnaître qu’il est difficile d’atteindre ces nobles objectifs sans créer les conditions adéquates, notamment en assurant un environnement fondé sur la liberté et en protégeant les journalistes contre toutes formes de pressions et de restrictions. Il est en effet impossible pour un journaliste de remplir son rôle dans le cadre d’un journalisme de qualité lorsqu’il évolue dans un climat de peur, d’insécurité et de précarité sociale.
Quatorzièmement, parmi les propositions majeures issues de ce forum figure l’organisation de rencontres internationales consacrées à la discussion autour de l’éducation aux médias et du journalisme de qualité, ainsi que la création d’une plateforme dédiée aux participants, leur permettant de poursuivre le dialogue, de coordonner autour des problématiques soulevées, et de partager leurs expériences dans le but de promouvoir un journalisme éthique, engagé contre le mensonge, la désinformation et la diffamation.
La Commission provisoire salue cette proposition, s’engage à la concrétiser sur le terrain, et à en élargir la participation.
Recommandation spéciale
Enfin, les participants à cette importante rencontre internationale expriment leur profonde gratitude à la Commission provisoire chargée du secteur de la presse et de l’édition pour son initiative dans l’organisation de cet événement international, ainsi qu’au Conseil de la région Dakhla-Oued Eddahab et aux autorités locales et régionales pour leur précieux soutien ayant contribué à la réussite de cette manifestation.
Cette rencontre a permis aux participants venus de différents continents de découvrir l’atmosphère de stabilité, de progrès et de développement que connaît la ville de Dakhla, et à travers elle, l’ensemble des provinces du Sud marocain.
Dakhla 21 juin 2025
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