CONAKRY- C’est la toute première réaction officielle du Gouvernement guinéen. A travers le ministre de la Culture, Moussa Moise Sylla, le Gouvernement guinéen vient d’annoncer que le processus de rapatriement de la dépouille de l’artiste Bah Sadio, décédé en France en 1976 va aboutir. Tout en saluant l’enquête réalisée par Africaguinee.com, intitulée « sur les traces de Bah Sadio » et qui a permis de retrouver sa sépulture au cimetière parisien de Thiais, les autorités guinéennes promettent de s’impliquer. Dans une interview accordée à Africaguinee.com, le chef du Département de la Culture, confie déjà que des actions sont en cours pour honorer la mémoire de l’artiste et le souhait exprimé par sa famille. Un comité a été mis en place à cet effet.
Au micro d’Africaguinee.com, Moussa Moise Sylla souligne qu’honorer le souhait de l’artiste est un devoir pour son Département. Mieux, a-t-il dit, la question mémorielle intéresse le président Mamadi Doumbouya. Il souligne la volonté du Gouvernement de baptiser le palais de la Kolima de Labé en cours de rénovation, ‘’Palais de la Culture Bah Sadio’’. Il s’agit d’un espace culturel chargé d’histoire où les présidents Ahmed Sekou Touré, Fidèle Castro, Senghor, Modiba Keita et d’autres ont esquissé des pas de danse. Entretien exclusif !!!
AFRICAGUINEE.COM : Bonjour Monsieur le ministre ! Une enquête réalisée par notre média a permis de lever le mythe sur l’artiste Bah Sadio, décédé en France en 1976. Sa tombe a été identifiée à Paris près 50 ans après sa disparition. Quelle est votre réaction en tant que Ministre de la Culture?
MOUSSA MOISE SYLLA : Je commence par vous remercier d’abord pour tout l’intérêt que vous avez accordé à ce sujet si pertinent qui avait besoin d’éclaircissements importants. Bah Sadio est une icône de la musique guinéenne. Bah Sadio de son vrai nom Mamadou Sadio Bah est une figure emblématique de la musique pastorale de Guinée. Sadio avait une voix exceptionnelle et un talent pour la guitare traditionnelle reconnue un peu partout : le « Hoddu » (instrument traditionnel peul à trois cordes qui accompagne les veillées de conte et qui servent d’intermède sous l’arbre à palabre ou qui agence des rythmes pour les chefs, NDLR). Les chansons de Bah Sadio résistent au temps et les refrains nous les avons en tête. Jeere-Leele, la plus célèbre chanson, fait partie des classiques intemporelles de notre musique. Donc, lorsqu’on s’intéresse à une telle figure, on s’intéresse à un pan de l’histoire de notre patrimoine, parce qu’il s’agit d’un artiste dont l’art est profondément ancré dans les traditions pastorales. La musique de Sadio a transcendé d’ailleurs des générations et ça continue d’inspirer beaucoup d’artistes quand on se réfère aux célébrités guinéennes qui ont repris le célèbre titre Jeere-Leele. Cela traduit que c’est une musique qui inspire les artistes contemporains. La reprise de ses œuvres démontre que Bah Sadio n’est pas mort, mais c’est un monument qui continue de vivre parmi nous. Donc, vous Africaguinee.com en tant que media, vous confirmez cela en mettant en lumière le talent de l’homme, comme un artiste ne meurt jamais.
Monsieur le ministre ! la tombe de Bah Sadio a été identifiée à Paris officiellement. La famille vous a saisi par courrier. Quelles sont les démarches déjà engagées par votre département pour honorer cette volonté du défunt ?
Nous à notre niveau, vous le savez bien lorsqu’un défunt exprime une dernière volonté avant sa mort, nous sommes tous des africains, cela représente une grande valeur à honorer à nos yeux. La famille biologique de l’artiste a exprimé le souhait de leur proche de rentrer en Guinée avant son décès, d’ailleurs il était sur les démarches quand il a été rappelé à Dieu en France. Et il avait dit même s’il mourait à l’étranger, que sa dépouille soit rapatriée en Guinée, sa terre natale. Une des chansons parlent de retour au pays pour tout guinéen installé à l’étranger en guise d’encouragement. Donc, c’est un souhait qu’il a exprimé de son vivant et qu’il a chanté d’ailleurs ‘’un jour où l’autre, je rentrerai en Guinée’’. C’est de l’amour pour la terre qui l’a vu naitre. Malheureusement il ne rentre pas vivant. Donc, ce souhait porté par sa famille aujourd’hui, d’ailleurs depuis son décès est un appel à honorer la mémoire d’un artiste qui a consacré sa vie à célébrer notre patrimoine culturel national. Il est de notre devoir de l’honorer. La question mémorielle intéresse le président de la République. Le Chef de l’Etat en tant que père de la Nation, il a à cœur qu’on respecte les volontés des sages, des icônes de ceux qui font ou qui ont fait les grands jours de notre pays. Donc, pour nous c’était important d’échanger avec la famille et de prendre un peu, l’expression de cette volonté, leur cri de cœur. Nous avons demandé à la famille de nous écrire et nous saisir officiellement. C’est ce que la famille a fait.
Nous allons nous y mettre…
C’est un travail qui nécessite beaucoup de démarches. C’est un processus administratif et de collaboration interministérielle qui s’est tout de suite enclenché. Le rapatriement des restes de Bah Sadio décédé il y a 49 ans, c’est une procédure complexe. Donc, cette coordination rigoureuse entre plusieurs institutions, nous l’avons déjà entamée parce qu’après la réception du courrier de la famille nous avons mis tout de suite en place un petit comité pour saisir l’ensemble des départements qui entrent en jeu. Nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère des Affaires étrangères pour les aspects diplomatiques et les relations avec la France, mais il y a aussi les questions du ministère de la Santé pour garantir le respect et les normes sanitaires légales liées au transport des restes humains. Il y a aussi un aspect pas moins important, cette démarche requiert l’autorisation du président de la République en tant que garant des décisions majeures pour notre pays. Donc, chaque étape est essentielle pour assurer que ce processus se déroule dans le respect des lois internationales et des traditions de notre pays. Retenez que tout ceci est déjà en cours et nous sommes rassurés que ce processus va aboutir. Rassurez-vous cette année les choses iront plus vite.
Est-ce que vous avez abordé le sujet avec le président Mamadi Doumbouya ?
Ecoutez, je ne peux pas vous faire part des échanges avec le Chef de l’Etat directement, retenez que la bonne nouvelle il n’y a aucun obstacle au niveau de la présidence de la République pour que les restes de Bah Sadio rejoignent sa terre natale. Au contraire, la volonté au plus haut niveau est que tout soit fait pour que Bah Sadio soit réhabilité et célébré dans son pays. Ce degré de patriotisme est déjà connu avec le CNRD qui œuvre dans tous les sens pour redonner à la Guinée toute sa souveraineté y compris celle culturelle. C’est un désir qui nous tient à cœur, une fois que les travaux de réhabilitation et de la modernisation du palais de Kolima seront achevés, nous souhaiterions rebaptiser ce palais là en lui donnant le nom de Bah Sadio afin de contribuer à l’immortaliser de plus.
Demande de visa pour compléter l’enquête en France
Rassurez-vous, nous allons nous impliquer pour cette deuxième relance que vous souhaitez entamer au niveau de Capago et l’ambassade de France, afin que vous ayez le visa cette fois pour vous permettre de compléter l’enquête que tout le monde attend vraiment avec passion et qui va permettre aussi nous du Gouvernement d’avoir tous les éléments nécessaires au rapatriement des restes de cette icône.
Monsieur le ministre, la Guitare de Bah Sadio est ramenée en Guinée depuis 1994. Elle était l’unique instrument de Bah Sadio. Des acteurs culturels et même les proches de la famille indiquent qu’elle mérite d’être rachetée à un prix d’Or à la famille par l’Etat afin qu’elle soit exposée au Musée. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Nous allons étudier cette demande également de la famille, il y a un grand chantier au niveau du musée national de Guinée en cours qui avance très bien. Nous avons bénéficié d’un prêt de l’Agence française de développement aux alentours de 16 millions d’euros pour doter notre pays d’un musée répondant à toutes les commodités et qui soit un musée de standing international. Il faut des préalables quand on doit avoir des grandes collections symboliques comme cette guitare et bien d’autres. Les discussions sont déjà entamées avec la famille pour la mise à disposition de cette guitare et faire en sorte qu’elle soit à la bonne place, même au Musée du Fuuta à Labé, en tout cas à un endroit où elle servira de repère mémoriel à tous les fils de la Guinée qui voudront toucher du doigt cet instrument qui a été témoin de la vie d’artiste de Bah Sadio.
La famille biologique de Sadio est privée des droits d’auteurs de l’artiste depuis 24 ans. Est-ce que vous avez cherché à comprendre les raisons de cet arrêt de paiement ?
Il y a un délai de perception de ses droits quand on décède. Pour le cas par exemple des droits à l’international avec la société des auteurs, des compositeurs et éditeur de musiques (SACEM), nous avons une coopération interrompue depuis 15 ans. Il a fallu des démarches du ministère de la Culture guinéenne au cours d’un de mes déplacements en France pour discuter avec les responsables de la SACEM, leur donner des gages de transparence au niveau du bureau guinéen des droits d’auteurs (BGDA) afin que cette collaboration de partenariat soit rétablie. Donc, ce partenariat a été rétabli il y a moins de 2 mois. Avec ce rétablissement de collaboration, nous allons faire en sorte que tout ce qui est question de droit portant sur des artistes, des professionnels de la culture de notre pays à l’étranger –parce que la SACEM couvre un champ géographique assez large-, soit rapatrié dans notre pays. Cette collaboration est aussi basée sur la réciprocité. C’est-à-dire si des artistes étrangers viennent faire des prestations en Guinée, nous devons également rapatrier leur droit dans leur pays ou au niveau de tout bureau où ils sont affiliés. Donc, c’est pour vous dire que j’ai été mis au courant de cette question de rupture de paiement des droits de Bah Sadio et j’ai donné des instructions nécessaires. Nous allons avoir des réponses claires au cours de cette année afin que la famille puisse être rétablie dans ses droits. C’est des ayants droits : la famille de l’artiste doit bénéficier des retombées des œuvres de leur défunt proche.
Comment vous avez aussi perçu cet élan de Solidarité qui s’est déclenché chez les guinéens pour le rapatriement de sa dépouille ?
J’ai vu l’expression d’un patriotisme assez réconfortant à l’endroit du ministère de la Culture et de ma personne pour ce projet de rapatriement tant exprimé par tous. Nous avons vu déjà les premiers engagements du côté de la Belgique. C’est un élan très fort que nous venons d’observer de la part de la diaspora guinéenne. Un soutien qui va au-delà de la politique politicienne instable. Les guinéens dans l’ensemble savent aller à l’essentiel quand il le faut. Il s’agit de leur culture et de leur patrimoine, les guinéens se sont donnés la main sans considération ethnique ou régionaliste. Tout le monde se lève pour dire moi aussi je prends part à ce projet national. Chacun veut être un maillon de la chaine. Voici quelque chose que je salue et j’apprécie. De mon côté, je reste un soldat du général Mamadi Doumbouya qui se met entièrement au service de la Guinée. Partout où il me mettra, je suis prêt à servir comme je le fais depuis le 5 septembre 2021 à l’aube de la prise de responsabilité.
Merci Monsieur le ministre !
Merci à vous aussi pour tout ce travail autour de cette question de patrimoine national qui est Bah Sadio
Interview réalisée par Alpha Ousmane BAH
Pour Africaguinee.com
Tel : (+224) 664 93 45 45
Créé le 10 février 2025 11:54
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