Il est difficile de ne pas être frappé par l’enthousiasme par lequel les Guinéens qui accompagnent l’ouverture de China Mall à Conakry. Certains y voient un signe de modernité, d’autres la promesse d’une vie moderne avec des articles de luxe vendus à de prix abordables.
Il y en a même qui pensent que c’est un signe du progrès de la Guinée. Mais en réalité, derrière les façades étincelantes et les prix attractifs, se cache une tout autre histoire : celle d’une nouvelle dépendance économique qui risque, une fois encore, d’étouffer nos propres forces productives.
Sous le vernis du progrès, une menace silencieuse
China Mall, comme tant d’autres structures de ce genre, n’est pas un symbole de prospérité. C’est un géant de l’importation, dont le modèle économique repose sur l’inondation de notre marché avec des produits manufacturés à l’étranger, à bas prix et de qualité discutable. Ce modèle expose inéluctablement le pays à un double péril : l’appauvrissement chronique de l’État et l’aggravation de la misère populaire. Pendant que les consommateurs se réjouissent des prix cassés, les artisans, les commerçants et les petits entrepreneurs et commerçants guinéens, eux, regardent leurs clients s’en aller et leurs étals se vider.
C’est là le piège : sous couvert de compétitivité, ce modèle tue lentement le commerce de proximité, anéantit les efforts de production locale et rend nos propres initiatives industrielles non viables dès le départ. En quelques années, ces géants aspirent la clientèle, les revenus et même l’espoir de milliers de familles qui vivaient du petit commerce. À terme, il affaiblit la base même de notre économie et affaiblit le tissu social.
Nous ne devrions pas applaudir l’ouverture d’une plateforme qui facilite la distribution des produits d’une puissance étrangère. Nous devrions plutôt célébrer la naissance d’une usine guinéenne, la mise en place d’un pôle industriel « Made in Guinea », ou l’ouverture d’un atelier local qui emploie nos jeunes et transforme nos ressources ici, chez nous.
Lorsqu’un Guinéen produit et vend, l’argent reste dans le pays. Il fait vivre sa famille, crée de l’emploi, construit sa maison, investit dans un autre projet. C’est ce qu’on appelle un cercle vertueux : chaque franc réinvesti alimente la prospérité collective.
Certes, les prix des produits locaux peuvent parfois être plus élevés, mais se limiter à une comparaison de prix, c’est ignorer le véritable coût du développement. Acheter local, c’est payer un peu plus cher aujourd’hui pour être souverain demain.
La Chine, une leçon d’intelligence économique
Ironie du sort, ce modèle économique qui risque de nous submerger aujourd’hui, la Chine elle-même ne l’a jamais accepté pour son propre développement. Lorsqu’elle a ouvert son marché aux multinationales, elle a imposé une règle claire : toute entreprise étrangère devait s’associer à une société locale. Ce n’était pas une formalité, mais une stratégie de transfert de technologie et de savoir-faire.
L’État chinois allait même jusqu’à aider ses citoyens à mobiliser les fonds nécessaires pour devenir partenaires de ces entreprises. Et lorsque ces dernières quittaient le pays, les infrastructures restaient la propriété de leurs associés chinois. Résultat : en quelques décennies, la Chine est passée du statut d’atelier du monde à celui de puissance technologique mondiale.
L’absence de régulation pour protéger les créations locales a pour conséquence une saignée économique. Les profits réalisés par les grandes entreprises étrangères sont systématiquement rapatriés vers leurs pays d’origine, provoquant une fuite massive de devises, laissant derrière eux des salaires précaires, quelques taxes symboliques et des ruines commerciales. Cette fuite de capitaux affaiblit notre monnaie, détériore notre balance des paiements et nous rend encore plus dépendants des importations.
Et pendant que certains se réjouissent des “investissements étrangers”, nos artisans ferment boutique, nos jeunes renoncent et pensent à fuir le pays et notre économie s’épuise à petit feu.
L’impératif de protéger le tissu socio-économique
Derrière les grands indicateurs macroéconomiques, il y a des réalités humaines. Chaque petit commerce qui ferme provoque un drame silencieux. Une mère qui ne peut plus payer la scolarité de ses enfants. Un jeune qui perd son emploi et retourne au quartier sans perspective. Un fournisseur local qui ne sera jamais payé. Bref, chaque boutique qui ferme, ce sont des emplois perdus, des rêves brisés, et une érosion du tissu social qu’aucune recette fiscale ne saurait compenser.
Voilà la réalité que les statistiques ne montrent pas. Une économie qui sacrifie ses petites entreprises pour flatter des géants étrangers perd son âme avant même de perdre sa richesse.
Même les États-Unis, champions du libre marché, ont dû prendre des mesures pour protéger leurs entreprises locales face à des plateformes comme Temu, Alibaba ou Shein. Alors pourquoi devrions-nous, nous, tendre le cou à une concurrence qui détruit tout sur son passage ?
Protéger nos entrepreneurs et nos producteurs locaux n’est pas un repli sur soi. C’est un acte de patriotisme économique, un choix de lucidité et de courage. C’est affirmer que la Guinée ne se résignera pas à n’être qu’un marché pour les autres, mais qu’elle veut être un acteur qui produit, transforme et exporte.
Le véritable développement ne se mesure pas au nombre de centres commerciaux étrangers sur notre sol, mais à notre capacité à créer de la valeur, à nourrir nos familles et à donner un avenir à nos enfants grâce à notre propre travail.
Abdoulaye J. Barry
ajbarry@live.com
Conakry, Guinée
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