Alors que les guinéens font face à un manque inquiétant de liquidités dans les banques, des voix s’élèvent pour rassurer et expliquer les causes de cette situation. Illiquidité, refinancement, dépenses publiques, l’ancien ministre Ousmane Kaba décryptage une situation devenue bien que préoccupante.
Écoutez, c’est une maladie qu’on appelle le problème de liquidité dans les banques. Lorsque les banques n’arrivent plus à satisfaire les besoins de retrait des clients, on dit que la banque est illiquide. Évidemment, il ne faut pas confondre l’illiquidité et l’insolvabilité.
L’insolvabilité, c’est lorsque les banques font de mauvais crédits qui ne peuvent pas être remboursés. Et la banque tombe en faillite. On n’est pas du tout dans ce cas. Je ne voudrais pas que les gens soient alarmés. C’est une simple crise d’illiquidité et ça existe souvent dans les économies.
Une banque, c’est un intermédiaire financier. Pour simplifier, disons que c’est un commerçant d’argent. La banque commerce l’argent. S’il y a des problèmes de liquidité, si les banques manquent d’argent, il faut voir ses sources d’approvisionnement.
La banque a deux sources essentielles. Soit, les clients qui déposent leur argent aux guichets de la banque sur leurs comptes. Soit la banque s’approvisionne auprès de la Banque centrale.
Au niveau de la Banque centrale, soit les banques ont déposé de l’argent à la Banque centrale qui est la banque des banques. Tout ce que vous faites auprès de votre banque, la banque aussi fait la même chose auprès de la Banque centrale. Vous déposez votre argent dans une banque, la banque aussi dépose son argent à la Banque centrale.
Vous venez demander du crédit auprès de votre banque, les banques commerciales aussi demandent du crédit auprès de la Banque centrale. C’est ce qu’on appelle le refinancement. Donc, s’il y a manque de liquidités, voyons un peu ce qui se passe au niveau de la banque centrale.
Le rôle de la Banque centrale
Il faut revoir toute la politique d’émission de la Banque centrale. Qu’est-ce qui se passe ? Est-ce que les banques n’ont pas accès à leur argent déposé auprès de la Banque centrale, comme elles le souhaitent ? Ou est-ce que la Banque centrale refuse de refinancer les banques commerciales ? Généralement, lorsque cela arrive, c’est parce qu’entretemps, la Banque centrale, qui est la banque de l’État, a fait trop de dépenses pour l’État, des dépenses non prévues. C’est ce que nous appelons dans notre jargon les dépenses extra-budgétaires.
Si l’État fait beaucoup de dépenses non prévues, alors que la quantité de la monnaie, la masse monétaire, est surveillée par les institutions de Breton Woods, notamment le Fonds monétaire international, pour éviter l’inflation, on dit que vous ne devez pas dépasser telle quantité de monnaie dans l’économie. Alors, si la Banque centrale crée beaucoup d’argent, c’est-à-dire fait beaucoup de dépenses pour l’État, des dépenses non prévues, elle a tendance à compenser au niveau du secteur privé. Donc, elle peut être amenée à réduire le refinancement auprès des banques commerciales pour que celles-ci réduisent le crédit au secteur privé. On appelle ça en économie l’effet d’éviction. Ce n’est pas une bonne politique.
Il faut que l’État arrête de faire des dépenses extra-budgétaires. Ça peut être l’une des sources de manque de financement au niveau de l’État. Mais de l’autre côté, ce qui se passe lorsque déjà une banque ou deux banques ont des difficultés à satisfaire les clients, la confiance est érodée. La monnaie, les billets que nous avons s’appellent la monnaie fiduciaire, c’est-à-dire que c’est basé sur la confiance.
Perte de confiance et thésaurisation
Si vous venez dans votre banque et que vous avez des difficultés, vous racontez ça à tout le monde, les autres aussi prennent peur. Ils refusent d’envoyer leur argent en disant que si demain, ils ont besoin de l’argent, ils ne pourront pas le retirer. C’est une crise de liquidité qui vient là.
Dès que les gens se méfient de la banque, ce n’est pas une très bonne chose. Et qu’est-ce que font les clients ? Ils thésaurisent la monnaie. C’est ce qu’on appelle la thésaurisation.
Mettre son argent sous les paillasses, dans son armoire fermée, ou ceux qui vendent au marché, on met beaucoup d’argent dans les armoires et on le ferme dans la caisse. C’est quelque chose que je déconseille formellement. Pourquoi ? Parce que des voleurs peuvent vous guetter ou alors, nous avons souvent des accidents d’incendie. Donc ce n’est pas une bonne chose. Ce sont les deux sources qui peuvent créer la pénurie d’argent au niveau des banques, qu’on appelle l’illiquidité.
Des pistes de solutions
Les solutions sont simples. Comme je l’ai dit, en revoyant les sources d’argent des banques, pour ne pas que les banques manquent d’argent, il faudrait d’abord que la BCRG revoie toute sa politique d’émission et de refinancement. La politique de refinancement, il faut que la BCRG respecte les règles.
D’abord, que l’accès des banques à leurs propres dépôts auprès de la BCRG soit illimité et immédiat. Mais deuxièmement, lorsque les banques ont besoin de financement, que la BCRG puisse les refinancer, dans des conditions convenues. Il semble, parce que là, je n’ai pas les données, qu’il y a de nouvelles règles à la BCRG qui n’étaient pas convenues. Ce ne serait pas une bonne chose. Il faut que la BCRG respecte les règles du jeu, pour que le public ait confiance en son système bancaire.
Il faut aussi que les déposants aient confiance dans leurs banques. J‘invite tous les agents économiques qui ont de l’argent par dévers, de se débarrasser de cet argent et de le déposer au guichet de leur banque. C’est très important. Ça évite les problèmes de vol, d’incendie, de brigandage.
Donc là, c’est vraiment le conseil que je donne au public, de courir et de déposer leur argent dans leur banque, sur leur propre compte. Et les banques doivent faire l’effort de satisfaire les clients.
Je dirais à l’État d’éviter des dépenses non prévues. L’État ne doit pas peser trop sur la création monétaire. Malheureusement, c’est le cas depuis l’indépendance. Ce n’est pas un problème qui vient de commencer. La discipline budgétaire doit être respectée par l’État. Ne pas amener la BCRG à fabriquer de l’argent n’importe comment, parce que c’est la source d’inflation. Et vous savez, l’inflation, ça mine le pouvoir d’argent de l’ensemble de la population.
Vers une sortie de crise ?
J’ai l’habitude, à l’université, d’expliquer à mes étudiants que l’inflation, c’est un voleur qui a des millions de mains dans la poche de chacun, pour piquer notre pouvoir d’achat. J‘espère que cette crise va prendre fin. D’ailleurs, je pense qu’actuellement, la crise est en train de se résorber.
Les banques redeviennent encore liquides pour satisfaire leurs clients. C’est à ce prix que l’économie va marcher très bien. Sinon, on va avoir des impacts sur la croissance, sur l’investissement, sur la consommation, et ce n’est pas du tout profitable pour l’ensemble du peuple de Guinée. Ça remet en cause la croissance et la prospérité dans n’importe quel pays.
Par Salimatou BALDE, pour VisionGuinee.info
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