Le projet Simandou est, sans conteste, l’un des plus grands paris économiques de l’histoire de la Guinée. Il est aussi, potentiellement, l’une de ses plus grandes illusions si le pays n’apprend pas à conjuguer ambition avec rigueur, et rêve avec lucidité.
Loin des discours enfiévrés et des chiffres extravagants récemment brandis à Conakry et à Washington, Simandou n’est ni un eldorado immédiat, ni un gisement magique capable, à lui seul, de transformer la Guinée en puissance économique mondiale.
Ce projet peut forger la renaissance de notre nation – à condition que nous affrontions la réalité avec courage.
La grande illusion des “200 à 300 milliards de dollars”
Récemment, les autorités guinéennes ont présenté devant un auditoire d’investisseurs nationaux et internationaux une ambitieuse “Vision Simandou 2040”, prétendant que le projet pourrait mobiliser entre 200 et 300 milliards de dollars d’investissements. Une annonce spectaculaire, faite dans l’espoir d’attirer l’attention et l’enthousiasme des bailleurs de fonds.
Mais très vite, cette déclaration a suscité des réactions de scepticisme, voire d’embarras, dans les cercles financiers avertis. Car elle repose sur une évaluation déconnectée des réalités économiques, logistiques et institutionnelles du pays.
D’où proviennent ces chiffres vertigineux ? Qui en est à l’origine ? Et sur quelles bases techniques ou financières reposent-ils ? Ces questions fondamentales demeurent sans réponse sérieuse.
Dès lors, comment expliquer cette fuite en avant dans des annonces aussi manifestement irréalistes ?
Le réflexe de plaire, l’euphorie des projecteurs internationaux, ou encore le désir maladroit de repositionner la Guinée comme un acteur majeur sur l’échiquier minier mondial, peuvent pousser certains responsables à croire que l’énoncé de chiffres astronomiques suscitera admiration et crédibilité.
Mais c’est une erreur stratégique grave. Car dans le monde rigoureux de la finance mondiale, l’exagération est un aveu d’incompétence, pas de puissance. Elle trahit une méconnaissance des marchés, alimente le doute, et met en péril la crédibilité même du pays aux yeux des agences de notation, des investisseurs sérieux et des institutions multilatérales.
Pourquoi la Guinée ne doit pas se fier aveuglément aux “cabinets prestigieux”
Mais ces cabinets ne sont pas des investisseurs :
- Ils rédigent des rapports,
- Ils structurent des dossiers,
- Ils accompagnent dans l’élaboration de vitrines séduisantes.
Ils ne prennent pas de risques sur leurs fonds propres.
Confier l’avenir stratégique d’un pays à des prestataires extérieurs, sans capacité d’analyse interne critique, revient à acheter une maison après avoir lu uniquement une brochure publicitaire.
La Guinée doit comprendre que :
- La valeur perçue d’un projet dépend de la maturité du pays.
- Le même Simandou, s’il était situé en Australie ou au Brésil, vaudrait infiniment plus à cause des infrastructures modernes, de la stabilité institutionnelle, de la fiabilité logistique, et de l’attractivité pour les capitaux.
La Guinée n’en est pas là. Elle doit construire patiemment sa crédibilité et cesser de croire qu’un label international suffit à gommer ses faiblesses structurelles.
La Guinée ne peut pas se permettre ce luxe.
Ce dont elle a besoin aujourd’hui, ce n’est pas d’un récit fictionnel de milliards qui n’existeront jamais. C’est d’une vision audacieuse mais rigoureusement réaliste, articulée autour de trois piliers stratégiques :
La maîtrise des fondamentaux économiques et logistiques : un projet comme Simandou ne vaut que par les chaînes de valeur qu’il active. Il doit être pensé dans une logique d’intégration régionale, de partenariats équilibrés et de rentabilité partagée.
Une gouvernance transparente et responsable : sans cadre juridique stable, sans institutions solides, aucune promesse de financement ne se concrétisera. Le monde observe. Et le monde juge.
Une stratégie de développement progressive, cohérente et inclusive : articulée autour d’objectifs à court, moyen et long terme, avec des plans de développement clairs, des indicateurs de résultats, et un engagement concret pour améliorer la vie des Guinéens.
L’heure de la vérité, pas de la propagande
Depuis des mois, le projet Simandou est mis en scène comme un trophée politique. Mais la Guinée n’a plus besoin de slogans, de promesses ou d’inaugurations spectaculaires. Elle a besoin de résultats. Concrets. Tangibles. Justes.
La richesse du sous-sol n’aura aucun sens si elle n’améliore pas la vie du paysan à Kérouané, de l’étudiant de Labé, de la femme entrepreneure de Boké. Il est temps de mettre fin à la communication démagogique, et de replacer ce projet sous le contrôle d’une vision patriotique, intergénérationnelle et inclusive.
Hommage à une voix lucide : Djiba Diakité
Dans ce contexte, j’ai été profondément impressionné par les interventions du Ministre Directeur de Cabinet à la Présidence de la République, Djiba Diakité, dont les prises de parole sur le projet Simandou révèlent une maîtrise remarquable des enjeux économiques, stratégiques et géopolitiques liés à ce chantier titanesque.
Son discours est empreint de clarté, de rigueur et d’un sens aigu de l’intérêt national. Djiba Diakité incarne cette nouvelle génération de dirigeants capables de penser l’action publique en dehors de la démagogie, avec une vision long-termiste et structurante.
Il faut saluer cette posture rare, lucide et résolument tournée vers l’avenir, et l’encourager à continuer dans cette voie d’exigence et d’engagement au service de la Guinée.
Un appel solennel à nos dirigeants
Le moment est venu de vous élever à la hauteur de l’Histoire. Le peuple guinéen n’a que trop attendu. Vos responsabilités ne sont pas seulement politiques, elles sont morales. Ce fer du Simandou peut forger une Guinée digne, ou enterrer une fois de plus ses espoirs.
Dirigeants guinéens, cessez les manœuvres, élevez le débat, construisez un plan. Pas pour vos ambitions personnelles, mais pour notre avenir collectif.
Ne laissez pas le Simandou devenir un autre nom de la déception. Faites-en le socle de notre fierté nationale. L’Afrique vous regarde. Vos enfants vous jugeront. L’histoire, elle, n’oubliera rien.
A bon entendeur salut ! D’ici-là, merci de contribuer au débat.
Elhadj Aziz Bah
Consultant principal en gestion, auteur et expert en transformation stratégique
Caroline Du Nord, USA
*Note de l’auteur : Acceptons la pluralité d’idées. Pas d’injures, et rien que d’arguments.
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