2:59 pm - 21 juin, 2025

Le discours politique peut être défini comme une énonciation subjective et stratégique, où un locuteur construit sa position (Benveniste) tout en orientant l’interprétation de ses propos vers un but persuasif (Ducrot).

Ainsi, dans le cadre de notre analyse de ce discours du Président de la transition, le Colonel (à l’époque des faits) Mamadi Doumbouya tenu à l’occasion de son adresse à la Nation pour ses vœux de nouvel an, nous utiliserons principalement trois grandes approches théoriques : la lexicométrie, l’approche structurale et l’analyse critique du discours.

Ces trois méthodes nous permettront de relever les données statistiques relatives aux embrayeurs subjectifs, de comprendre les modes d’argumentation, les stratégies discursives et d’identifier les zones d’ombre enfouies dans chaque champ sémantique.

Partant de la première approche, nous avons dénombré 67 embrayeurs subjectifs (exception faite aux déterminants possessifs en raison de leur nombre élevé), dont la première personne du singulier « Je » employé 18 fois, la première personne du pluriel « Nous » employée 36 fois et la deuxième personne du pluriel « vous » employé 13 fois. L’analyse de ce tableau statistique des embrayeurs subjectifs nous indique deux grilles de lecture.

Premièrement, le locuteur réaffirme son autorité sans excès de langage. Mais il a subtilement réussi à construire son image de leader engagé et résolument déterminé à servir son pays. Par exemple quand il dit : « je ne faillirai pas » et « je suis là pour vous servi », il adopte un ethos de sincérité et de responsabilité.

Quant à l’usage de la première personne du pluriel qui est par ailleurs, plus dominant dans ce présent discours, il a donné les orientations d’une transition inclusive et apaisée en considérant le peuple dans sa diversité ethnique et politique comme seul pilier qui garantit la réussite de la transition. De ce point de vue, il a invité chaque guinéen et chaque guinéenne à plus de solidarité et de fraternité à l’effet de créer une union sacrée autour de son projet de refondation de l’Etat et de rectification institutionnelle.

In fine, la deuxième personne du pluriel est moins employée mais utilisée au niveau des champs sémantiques extrêmement stratégiques dans le but de valoriser et d’interpeller le peuple face aux enjeux et défis de la transition — « vous avez approuvé », « vous continuez de l’approuver » — « à vous, peuple de Guinée », « vous pouvez compter sur moi ».

En second lieu, l’approche structurale (Lévi-Strauss, Jakobson, Greimas) nous a permis d’analyser substantiellement les passages clés du discours. Ainsi le discoureur dans un narratif pragmatique a fait un état des lieux de la situation du pays ; cet exercice éminemment stratégique a consisté à faire le procès du régime déchu du Pr Alpha Condé avant de projeter une perspective d’avenir illustré à travers le passage suivant : « L’année qui s’achève a été marquée d’une pierre blanche dans l’histoire de notre pays. Elle aura été celle de la clôture d’un chapitre peu glorieux, mais aussi le commencement d’un autre plus radieux »

En plus, à travers une stratégie discursive, il a structuré sa communication autour d’une approche binaire opposant le passé sombre qu’il a hérité et le lendemain prometteur qu’il compte offrir aux guinéens — « Nous laissons derrière nous, la violence et l’arrogance. Derrière nous, la division et les dilapidations, la corruption et les exactions. Nous éteignons les tragiques flammes de ces moments de brutalités économiques, financières et humaines, en renaissant de ces brûlantes cendres ».  Ce schéma narratif consistait non seulement à légitimer la prise du pouvoir par l’armée, qui, selon lui, n’a pas été une décision facile à prendre, mais aussi invite le peuple à soutenir les mesures d’urgence qui ont été prises (Création de Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières).

Il a, par ailleurs, rappelé le rôle éminent du Conseil National de la Transition, qui, selon lui, demeure fondamental dans le processus de retour à l’ordre constitutionnel, notamment l’élaboration de la Nouvelle Constitution obéissant aux critères d’originalité et de singularité.

Certes, il n’est l’ombre d’aucun doute, l’histoire politique récente de la Guinée a été marqué par la résurgence des violences d’État dont les conséquences ont engendré des pertes en vie humaines et provoqué des dégâts matériels considérables (publics et privés). C’est pourquoi il a annoncé l’organisation des journées d’assises nationales sur toute l’étendue du territoire national et dans les ambassades autour des vertus du dialogue, du pardon et de la réconciliation nationale.

En nous inscrivant dans une perspective de comparaison entre ce discours du 31 décembre 2022 et les réalités actuelles de la gestion de la transition, nous constatons, hélas, deux contradictions apparentes : l’une relative au contexte de la prise du pouvoir, l’autre faisant allusion aux enjeux politiques du moment.

Dans le premier cas, le locuteur était non seulement dans une démarche de légitimation du coup d’État sans évoquer expressément le terme « coup d’État » préférant « coup de force » mais aussi de mobilisation du peuple de Guinée autour des actions, fusent-elles populistes ou impopulaires du CNRD. Au fait, l’objectif recherché était de reconfigurer l’échiquier politique guinéen et de redéfinir les règles du jeu.

Dans le second cas,  il n’en demeure pas moins vrai qu’à la lumière de notre analyse sur les décisions prises par le Général Mamadi Doumbouya du 5 septembre 2021 à nos jours — notamment celles relatives à la fermeture des organes de presse (Djoma, Évasion, Espace…), l’arrestation des leaders d’opinion (hommes politiques, les acteurs de la société civile et journalistes), l’interdiction des manifestations, le non-respect du délai de 36 mois requis pour la transition, etc. — que l’homme du 5 septembre semble désormais orienté dans une logique de se maintenir au pouvoir ralentissant ainsi le retour à l’ordre constitutionnel.

En outre, au regard des déclarations de soutien exprimées ici et là, et de la création de mouvements de soutien qui poussent comme des champignons, l’hypothèse d’une candidature n’est plus à écarter dans le cadre de notre présente analyse. Toutefois, le principal concerné ne s’est pas encore prononcé sur ladite question ce qui nous permet de l’accorder le bénéfice du doute jusqu’à preuve du contraire.

Auteurs : Discours analysé par les étudiants de la Licence 2 sciences politiques de l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia dans le cadre des travaux pratiques du cours d’analyse du discours politique.



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