Condamné en première instance à 2 ans de prison ferme pour offense et diffamation contre le chef de l’État par le Tribunal de Kaloum puis en appel par la Cour d’appel de Conakry, le président du MoDeL, Aliou Bah, garde une ultime carte à jouer : le pourvoi en cassation. Que signifie cette option ? Quelles en sont les chances, les limites et les enjeux politiques ? Décryptage.
La condamnation d’Aliou Bah en appel n’est pas nécessairement la fin de la procédure judiciaire. Bien que l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Conakry semble avoir scellé son sort, il existe encore une possibilité légale pour contester la décision : le pourvoi en cassation. Cette voie, bien que complexe, offre un dernier recours pour l’opposant politique, mais elle n’est pas sans limites.
Conformément à l’article 124 de la loi sur la Cour suprême de Guinée, “les parties disposent d’un délai de six (6) jours francs, après celui du prononcé pour se pourvoir en cassation”. En d’autres termes, Aliou Bah doit saisir la Cour suprême avant le 4 juin 2025 pour faire valoir son recours. Ce pourvoi, cependant, n’est pas une remise en question de l’affaire sur le fond.
“Le pourvoit consiste pour la Cour suprême à censurer la décision rendue en appel sur le plan de droit. Il s’agit de vérifier si les juridictions inférieures n’ont pas commis des erreurs de droit”, explique le juriste Kalil Camara. Autrement dit, la Cour suprême ne se penchera pas sur les faits de l’affaire, mais sur la régularité des décisions prises par la Cour d’appel de Conakry.
Si la Cour suprême identifie des erreurs de droit, elle peut “casser l’arrêt rendu en appel et renvoyer l’affaire devant la même juridiction autrement composée ou devant une autre juridiction”, comme la Cour d’appel de Kankan. Si aucune irrégularité n’est constatée, le pourvoi sera rejeté, et la décision de la Cour d’appel deviendra définitive.
L’article 79 de la loi sur la Cour suprême précise que le pourvoi en cassation “n’est pas suspensif” en principe, ce qui signifie que la décision de la Cour d’appel reste en vigueur tant que la Cour suprême n’a pas statué.
Toutefois, l’article 80 introduit une exception importante en matière pénale. “Le délai de recours et le pourvoi sont suspensifs”, indique Kalil Camara. Cela signifie que l’exécution de l’arrêt condamnant Aliou Bah est suspendue pendant le délai du pourvoi, ce qui devrait en théorie permettre à l’opposant de retrouver la liberté.
Cependant, cette suspension n’est pas automatique. “Il y a une autre exception”, précise le juriste. L’article 139 de la loi stipule que “l’arrêt rendu par la Cour d’appel continue à produire ses effets, même en dépit du pourvoi”.
Concrètement, cela signifie qu’Aliou Bah restera en prison, même s’il choisit de se pourvoir en cassation.
Une autre question importante qui se pose est celle du délai raisonnable pour que la Cour suprême rende sa décision. La loi n’impose pas de délai précis, mais l’article préliminaire du code de procédure pénale consacre le principe du “délai raisonnable”. Cela veut dire que la justice doit se prononcer dans un délai qui respecte les droits de l’individu.
“Le droit à un jugement dans un délai raisonnable est fondamental, et si ce droit est violé, la Cour de Justice de la CEDEAO [déjà saisie de l’affaire Aliou Bah] peut intervenir pour sanctionner l’État”, rappelle Kalil Camara. Cette juridiction sous-régionale, garante des droits de l’homme, peut condamner l’État guinéen si le délai pour statuer sur le pourvoi est jugé excessif.
Au-delà des aspects purement juridiques, la situation d’Aliou Bah a des implications politiques majeures. Son incarcération et la procédure judiciaire qui s’ensuit sont perçues par de nombreux observateurs comme un moyen de museler l’opposition en Guinée. Le MoDeL, le mouvement qu’il préside, pourrait voir dans cette affaire une tentative de répression politique.
La durée et le déroulement du recours en cassation seront surveillés de près, non seulement par les acteurs politiques locaux, mais aussi par les observateurs internationaux. Toute violation des droits d’Aliou Bah durant la procédure pourrait renforcer l’image d’une justice utilisée à des fins politiques et donner lieu à des critiques sur le respect des principes démocratiques en Guinée.
Bien que condamné en appel, on s’aperçoit qu’Aliou Bah ne se retrouve pas sans recours. Le pourvoi en cassation reste une dernière option pour contester sa condamnation, même si son efficacité semble limitée par les exceptions prévues par la loi guinéenne. Toutefois, cette procédure soulève des questions cruciales sur la régularité de la justice pénale et sur les enjeux politiques qui en découlent. Le climat politique du pays pourrait être durablement affecté, quel que soit le verdict final de la Cour suprême.
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