Ce samedi 3 mai 2025, à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, le Syndicat des Professionnels de la Presse de Guinée (SPPG) a rendu publique sa déclaration, quelques minutes seulement après le départ des représentants des associations de presse. Une situation qui a donné l’impression de deux cérémonies distinctes au sein de la Maison de la presse.
Selon les explications du secrétaire général, des négociations avaient pourtant eu lieu entre le patronat et le syndicat dès la veille, dans l’objectif d’aboutir à une déclaration commune. Cependant, à la dernière minute, les associations de presse ont choisi de lire chacune leur propre texte.
Dans son intervention, le secrétaire général du SPPG a dénoncé une tentative de censure à l’encontre de son organisation. Il a également révélé que le syndicat avait recensé au moins 70 atteintes graves à la liberté de la presse en 2024, contre 23 en 2023, soit une hausse alarmante de 204 % des actes liberticides.
Ce bilan préoccupant contribue notamment au recul de la Guinée de 25 places dans le classement mondial de Reporters Sans Frontières (RSF), reflétant une dégradation inquiétante des conditions d’exercice du journalisme dans le pays.
Le SPPG a par ailleurs appelé les autorités à publier les résultats de l’enquête sur la disparition du journaliste Habib Marouane Camara, tout en réitérant sa demande de réouverture des médias fermés.
En condamnant les entraves à la liberté de la presse, le syndicat a tout de même exhorté les journalistes à respecter les principes et règles déontologiques qui régissent leur profession.
Ci-dessous la déclaration du SPPG :
Pour commémorer la Journée mondiale de la liberté de la presse 2025, l’UNESCO a retenu comme thème principal : « Informer dans un monde complexe, l’impact de l’intelligence artificielle sur la liberté de la presse et les médias ».
Au niveau national, le SPPG a travaillé sur un sous-thème formulé ainsi : « Informer dans un pays en transition militaire : l’impact de la fermeture des médias sur les conditions de vie des journalistes et l’avenir du journalisme indépendant en Guinée ».
Du retrait des agréments de télés et radios avec leurs conséquences, à la disparition de Habib Marouane Camara, en passant par des décisions de suspension contre certains journalistes et leurs sites d’information, ou encore des cas de détentions arbitraires, de séquestrations, d’intimidations, de menaces, de censures ou d’autocensure par peur de représailles, les professionnels guinéens se demandent réellement ce que sera l’avenir des journalistes et du journalisme indépendant dans notre pays.
Vous comprendrez donc que nous n’avons pas choisi ce sous-thème au hasard. C’est le fruit d’une réflexion dont les conclusions reflètent le contexte particulièrement hostile dans lequel nous exerçons depuis plus de deux ans maintenant.
Rien que pour la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2024, la 3ᵉ édition du rapport annuel du SPPG sur la liberté de la presse a documenté 70 atteintes graves contre 23 l’année précédente, soit une augmentation de 204 % des actes liberticides.
Dans le classement mondial de Reporters Sans Frontières, notre pays a malheureusement perdu 25 places cette année. Du 78ᵉ rang qu’il occupait en 2024, la Guinée est passée à la 103ᵉ place sur 180 pays et territoires. C’est d’ailleurs l’État qui a le plus reculé dans le monde cette fois-ci. De la catégorie des zones en situation problématique, nous sommes passés à celle des pays en situation difficile.
C’est pourquoi, à l’occasion de cette journée symbolique du 3 mai, le Syndicat des Professionnels de la Presse de Guinée a jugé nécessaire de lancer un appel solennel à une prise de conscience générale et au dialogue sincère pour inverser la tendance. Cet appel concerne à la fois les acteurs du monde des médias — donc patronat et syndicat de la presse — les autorités guinéennes, les partenaires africains et ceux de la communauté internationale.
Chacun des acteurs concernés doit se rappeler des engagements pris quant à la promotion et à la protection de la liberté de la presse élargie à la liberté d’expression. Les instruments juridiques et déclarations de bonnes pratiques y afférents sont nombreux.
D’abord, les États membres de l’ONU se sont engagés dans ce sens à travers plusieurs dispositions, notamment l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui dit clairement : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression. »
Cet engagement est réitéré et détaillé à l’article 19, cette fois du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui stipule à l’alinéa 2 : « Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique ou par tout autre moyen de son choix. » Voilà l’origine des garanties juridiques données à l’exercice libre de notre métier, qui consiste justement à rechercher les informations, les collecter, les traiter et les diffuser.
En plus de ces dispositions qui engagent tous les pays membres des Nations Unies, il y a d’autres instruments propres à chaque continent ou grand ensemble. C’est le cas des États de l’UE soumis aux obligations de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ou encore des États-Unis à travers le premier amendement de la Constitution américaine.
Il existe aussi des instruments contraignants entre continents, par lesquels des États comme la Guinée s’engagent à respecter la liberté de la presse et les droits de l’homme. Il s’agit entre autres de l’accord de Cotonou, remplacé par l’accord de Samoa, une convention liant l’Union européenne à ses partenaires d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP).
Sur le plan régional, nous avons la Déclaration de Windhoek de 1991 sur la promotion d’une presse africaine indépendante et pluraliste, qui a d’ailleurs conduit à l’institutionnalisation de cette Journée internationale que nous célébrons aujourd’hui. Cette déclaration affirme dès son premier article que : « La création, le maintien et le renforcement d’une presse indépendante, pluraliste et libre sont indispensables au progrès et à la préservation de la démocratie dans un pays, ainsi qu’au développement économique. »
En termes clairs, sans presse libre, indépendante et pluraliste, il n’y a ni démocratie ni développement économique. On pourrait citer beaucoup d’autres dispositions de la Déclaration de principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique.
Mais puisque le temps ne nous le permet pas, revenons au niveau national pour évoquer un peu la législation guinéenne. Là également, nous avons de nombreuses stipulations constitutionnelles qui garantissent la liberté de la presse et l’indépendance des médias. On les retrouve dans toutes les constitutions que notre pays a connues depuis les années 1990. Certes, ces constitutions ne sont plus en vigueur, mais la Charte de la transition qui nous gouverne actuellement dispose à l’article 19 : « Tout individu a le droit de s’informer et d’être informé. » Plus loin, l’article 23 ajoute : « Les libertés d’opinion, d’expression, de conscience et de culte sont garanties. Les conditions de leur exercice sont définies par la loi. »
Parmi ces lois figurent la L/002 qui dépénalise les délits de presse, la L/027 portant droit d’accès à l’information publique, ou encore la L/010 sur la Haute Autorité de la Communication (HAC).
Chers camarades professionnels de l’information, si tous ces textes nous donnent des droits et libertés dont le respect et la protection incombent en grande partie aux autorités, gardons aussi à l’esprit que nous avons des règles d’éthique et de déontologie à observer, et des limites légales à ne pas franchir.
Le journaliste doit, par exemple, s’imposer la rigueur des principes de vérification des faits, le recoupement des sources, le respect de la vie privée, de la dignité humaine, et tant d’autres. Bref, il faut avoir un sens élevé des responsabilités dans l’exercice de ce noble métier. L’article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques nous apprend que « toute propagande en faveur de la guerre est interdite par la loi. » L’alinéa 2 du même article dispose : « Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence est interdit par la loi. »
Nous avons cité tous ces textes pour rappeler que l’exercice de notre beau et noble métier est très bien encadré. Il suffit que chaque composante concernée respecte sa part d’engagements.
Réitérant l’appel à une prise de conscience générale et au dialogue sincère lancé plus haut,
le SPPG recommande :
I – Aux autorités :
- De rétablir les médias fermés pour permettre à ce millier de pères et mères de famille, contraints au chômage depuis un an, de reprendre une vie normale ;
- De publier les conclusions des enquêtes annoncées dans le dossier du journaliste Habib Marouane Camara, kidnappé depuis le 3 décembre 2024, et d’user de toute la puissance de l’État pour le ramener à sa famille et à ses confrères ;
- De garantir la sécurité physique et morale des journalistes ;
- De veiller à l’implication effective du SPPG dans les réformes du secteur des médias ;
- De respecter les engagements pris par l’État guinéen à l’international en matière de liberté de la presse, élargie à la liberté d’expression ;
- De revoir à la hausse la subvention accordée à la presse et d’y prévoir la part du syndicat ;
- De veiller, au nom de la rectification institutionnelle, à ce que le SPPG intègre la Haute Autorité de la Communication avec le même nombre de représentants que le bloc patronal, pour garantir la légitimité de cette institution ;
II – À la HAC :
- De lever la suspension du journaliste Toumany Camara ainsi que celle de son site Presse Investigation, interdits pour trois mois, et de prendre en compte ses alertes lancées pour la protection de l’environnement, afin de sauver le parc national du Haut Niger, patrimoine national et mondial ;
- De prendre en compte la note technique adressée par le SPPG en 2023, rappelant qu’en matière de diffamation, la suspension ne doit intervenir que si la personne diffamée l’a été en raison de son appartenance ethnique, régionale, religieuse ou d’autres considérations discriminatoires ;
III – Aux patrons de médias :
- De signer enfin la convention collective avec le syndicat de la presse pour améliorer les conditions de vie et de travail des employés, et faire du paysage médiatique guinéen un secteur organisé, respecté et prospère ;
- D’assurer la formation continue de leurs employés ;
IV – À la communauté internationale :
- De rester attachée aux valeurs universellement reconnues telles que la liberté de la presse, la sécurité et l’indépendance des journalistes ;
- D’accompagner le syndicat dans la formation des journalistes qui s’apprêtent à couvrir d’importantes échéances électorales pour un retour crédible à l’ordre constitutionnel ;
- De soutenir les efforts du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, qui a entamé une médiation entre le syndicat et les organisations patronales de presse, en vue d’aboutir à un dialogue sincère entre les autorités et nous, acteurs du monde des médias.
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