L’année 2025 semble être le moment clé pour prendre un tournant décisif en ce qui concerne le Niger, le Burkina Faso et le Mali. Ces trois États ont en commun d’avoir renoncé à leurs promesses de retour à l’ordre constitutionnel après des coups d’État militaires qui ont porté leurs dirigeants actuels au pouvoir.
Tous, ils ont justifié leur prise de pouvoir du fait d’un délitement des institutions, de l’incurie des pouvoirs civils, notamment leur incapacité à sécuriser les frontières nationales ou à les rétablir dans leurs limites officielles.
Ils ont été d’autant plus portés aux nues par des populations fanatisées que, dans leurs discours prétendument panafricanistes, mais indiscutablement démagogiques, ils n’ont eu de cesse de justifier les malheurs de leurs peuples par la mainmise néocoloniale de puissances étrangères qui exploitent leurs pays par le biais d’une élite prédatrice et aux ordres.
Priorité des priorités, la mission de salut public pour laquelle ils disent avoir pris les armes était d’éradiquer les menaces et les actions déstabilisatrices des groupes terroristes djihadistes. Ce discours souverainiste a fait des émules, au point de convaincre des franges importantes de leurs populations respectives que le moment est venu pour leurs pays de rompre les liens historiques et stratégiques avec la France et de se tourner vers la Russie, en raison de sa politique de non-ingérence dans les affaires intérieures des États africains, de son absence de passé colonial et de sa redoutable force de frappe militaire dont les faits d’armes sont visibles face aux forces coalisées de l’OTAN dans le conflit russo-ukrainien.
Désillusion et espoirs déçus
Or, voici que près de cinq années plus tard, les fruits ne tiennent pas la promesse des fleurs. Dans les trois États de l’AES (l’Alliance des États du Sahel), les forces de défense et de sécurité nationale subissent à intervalles réguliers, depuis plus d’une année, de lourdes pertes en hommes et en matériel, mais perdent également du terrain, y compris là où la reconquête semblait acquise.
Plus préoccupant, le bouclier sécuritaire russe montre chaque jour ses limites.
Ironie de l’histoire, les réseaux sociaux qui ont été jusqu’à présent l’outil de propagande et de désinformation de Moscou en Afrique sont également le canal par lequel le monde entier a découvert que le groupe Wagner est un géant aux pieds d’argile. Si les pertes en hommes et en matériels dans les troupes loyalistes sont compréhensibles, les opinions publiques de l’AES ont de plus en plus du mal à comprendre que l’assurance tous risques qui leur a été vendue par les juntes au pouvoir au Mali, au Niger et au Burkina est un leurre.
Les incursions menées le 17 septembre 2024 à Bamako au Mali, y compris dans les lieux de pouvoir que les populations croyaient sanctuarisés et à l’abri de toute incursion terroriste, ont installé le doute et une stupéfaction dans les esprits et ceux-ci vont grandissant. L’attaque revendiquée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaida) a fait près de 100 morts.
Réputation de la Russie en berne
Au-delà du parapluie sécuritaire supposé invulnérable de Wagner, c’est la réputation militaire de la Russie qui est atteinte après la chute du régime de Bachar al-Assad dont Moscou était pourtant un soutien militaire fervent.
C’est au regard de ce contexte que la nouvelle est tombée dans les rédactions comme un poisson d’avril en ce début du mois de juin. Cette annonce aurait certainement été prise pour telle si elle avait été faite un 1er avril. Les mercenaires du groupe de sécurité privé Wagner annoncent leur départ du Mali, tout au moins dans l’ancienne formule configurée par son père fondateur, Prigojine, pour faire place à une entité nouvelle dénommée Africa Corps.
La rébellion en mondovision du célèbre chef mercenaire Evgueni Prigojine, contre le maître du Kremlin et sa disparition aussi brutale que mystérieuse, le 23 août 2023, laissaient augurer, à n’en pas douter, des lendemains incertains pour les clients africains de Wagner.
Les interrogations et les inquiétudes étaient d’autant plus fondées dans certains palais africains en raison de la disparition d’Evgueni Prigojine avec la quasi-totalité de son état-major dans ce crash d’avion en plein ciel russe. La forte personnalité de Prigojine, son autoritarisme et son charisme mafieux avaient très fortement imprégné ses troupes, à telle enseigne qu’il n’est pas exagéré, rétrospectivement, d’affirmer que Wagner, c’était lui et lui, c’était Wagner.
Avenir incertain
Les semaines et les mois à venir seront décisifs pour les États du Sahel. Preuve est désormais faite que la force mixte des trois États, annoncée à grand renfort de propagande nationaliste, était en réalité un effet d’annonce pour rassurer des populations de plus en plus inquiètes. La mobilisation des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) au Burkina Faso a montré ses limites. Le changement de dénomination des hommes de Moscou sur le terrain n’est pas de nature à renforcer leur efficacité stratégique.
La communication par l’image des groupes terroristes dans les réseaux sociaux, exhibant leurs “trophées de guerre” et les lieux de commandement militaire désertés par des forces loyalistes en débandade ou captives, met manifestement à mal les dénégations des officiels de ces États sur la réalité de la situation sur le terrain.
Après les grands moments d’euphorie, voici peut-être venu le moment des questionnements existentiels pour les États de l’AES.
Éric Mocnga Topona
Journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle, à Bonn (Allemagne)
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