CONAKRY – Pour la première fois de son histoire, le Karfamoriah FC, club de la préfecture de Kankan, accède à la Ligue 1 guinéenne. Portée par son président, Dr Ibrahima Kalil Kaba, ancien ministre des Affaires étrangères, et la ferveur des amoureux de Nabaya, cette montée récompense plusieurs années de travail. Dans cette interview exclusive, le patron du club revient sur sa création, dévoile ses ambitions et livre son analyse des défis du football guinéen.
AFRICAGUINEE.COM : Votre club Karfamoriah FC est monté en première division. Comment en est-on arrivé à ce niveau ?
IBRAHIMA KALIL KABA ‘’ LILOU”: Si l’on remonte à la genèse, tout a commencé en 2006. Ce sont de jeunes passionnés de football, dans le village, qui ont décidé de se structurer pour être reconnus d’abord par les autorités locales, puis affiliés à la Fédération. Au fil des années, ils se sont battus avec les moyens du bord pour sortir des divisions inférieures, jusqu’à atteindre la Nationale 2, au milieu des années 2010.
À ce moment-là, leurs ressources étaient limitées. Entre les voyages, les équipements, l’entretien de l’équipe, les charges devenaient trop lourdes. C’est ainsi qu’ils sont passés par mon frère, Moustapha (paix à son âme), pour me solliciter. À l’époque, j’étais directeur de cabinet à la Présidence et, franchement, je n’avais pas de temps pour ce genre d’engagement. J’ai finalement accepté d’apporter mon soutien, même si au départ c’était à distance.
L’aventure a bien évolué. Comme le club était basé à Kankan, les charges restaient supportables. L’équipe a franchi les étapes de la Nationale 2, puis de la Nationale 1, pour finalement accéder à la Ligue 2. Pendant cinq ans, nous nous sommes appuyés en grande partie sur les joueurs issus du Cafique, un championnat amateur de Kankan, qui représente près de 90 % de notre effectif. Nous avons aussi bénéficié de l’apport des étudiants de l’Université Julius Nyerere de Kankan, véritable pépinière de talents venant de tout le pays.
Ce cycle de maturité a commencé par un apprentissage, comme pour toute équipe qui découvre la Ligue 2. Et depuis trois ans, nous pensions avoir l’effectif nécessaire pour monter. C’est cette année que cela s’est concrétisé. Voilà en résumé les principales étapes.
Mes félicitations pour la montée de votre club. Vous étiez d’ailleurs au stade lors du match décisif contre Santoba FC, remporté 1-0 par Karfamoriah. Comment avez-vous vécu cet événement ?
Avec beaucoup d’émotion, de joie et d’exaltation. Mais aussi avec un peu de tristesse. Je rappelais à certains de vos collègues que c’était notre avant-dernier match en Ligue 2, en attendant celui qui déterminera le champion.
Mais notre tout premier match reste gravé dans nos mémoires, car il a été marqué par une tragédie. Nous devions affronter le Club Sportif Étoile de Guinée, dont les jeunes joueurs ont été victimes d’un accident à Timbo, près de Mamou, faisant dix morts (dont 8 joueurs, le médecin du club et le chauffeur ndlr). Ce drame, qui s’est produit en mars 2020, reste difficile à oublier. Comme eux, nos enfants prennent aussi des bus pour voyager. En cinq ans, heureusement, nous n’avons pas connu de drame de ce genre. Mais en tant que parents, nous gardons une pensée pieuse pour ces jeunes disparus. C’est à eux que nous avons dédié notre montée.
Donc oui, ce fut un mélange d’émotions, comme souvent dans le football : la joie, les larmes, et ce souvenir douloureux qui revient.
Il reste un match décisif pour déterminer le champion de la Ligue 2. Comment comptez-vous préparer cette échéance ?
La première chose à clarifier est le lieu du match. Nous avons passé 54 jours à Conakry pour les matchs de poules, avant de rentrer à Kankan. Il est maintenant question de savoir si la rencontre se tiendra à Conakry ou ailleurs. Nous ne sommes pas très enthousiastes à l’idée d’y retourner pour un seul match, surtout après y avoir disputé 12 journées.
Concernant la préparation, il s’agit d’un match unique mais avec un grand enjeu : le titre de champion de Ligue 2. L’équipe de LASFAG (L’association sportive des Forces armées guinéennes), que nous n’avons pas affrontée puisqu’elle n’était pas dans notre poule, est solide et bien coachée. Nous espérons que la rencontre sera belle et disputée.
En attendant, nous avons accordé quelques jours de repos aux joueurs. Cela faisait deux mois qu’ils n’avaient pas vu leurs familles, il fallait qu’ils se ressourcent. Les entraînements reprendront en milieu de semaine prochaine, à la fois pour préparer ce match décisif et pour anticiper la rentrée en Ligue 1, qui arrive très vite.
D’ailleurs, des réunions préparatoires sont déjà prévues au niveau de la Ligue. Les délais sont courts, il faudra se préparer sur deux fronts : le dernier match de Ligue 2 et les débuts en première division.
On se demande souvent comment les dirigeants de clubs guinéens parviennent à gérer, surtout le côté financier. Comment cela se passe-t-il pour vous ?
En réalité, c’est un mode solidaire. Beaucoup pensent qu’un club de Ligue 2 repose sur une seule personne, mais ce n’est presque jamais le cas. Dans notre cas, nous avons déjà deux sponsors – la Banque Nationale de Guinée et le groupe GPC des frères Kaba – ce qui n’est pas très courant.
Ensuite, comme il s’agit de l’équipe du village, devenue désormais celle de la sous-préfecture, nous avons toujours bénéficié du soutien de cadres ressortissants… et parfois même de non-ressortissants. Je prends l’exemple de Dr Naby Moussa Sylla, à Kindia, qui nous a hébergés gratuitement pendant cinq ans à l’hôtel Grand Syli.
Il existe donc un système de solidarité, avec des contributeurs anonymes ou connus, qui permet d’entretenir l’équipe. Il faut rappeler aussi qu’une saison compte 26 journées, dont 13 à domicile. Les dépenses y sont relativement limitées : frais d’organisation, voyages, alimentation, soins médicaux et primes. Pour l’instant, en Ligue 2, les joueurs ne sont pas salariés. Seuls l’entraîneur et quelques membres du staff le sont. Les joueurs vivent surtout de primes. Finalement, les charges ne sont pas aussi extraordinaires qu’on pourrait le penser.
Et quelle est la part de contribution de la Fédération dans tout cela ?
La Fédération accorde une subvention annuelle comprise entre 80 et 100 millions de francs guinéens pour les clubs. Mais il n’existe pas de mécanisme d’équité pour les équipes de l’intérieur.
Nos championnats sont dominés par des clubs de Conakry (50 à 60 % des équipes) et d’autres de Kamsar. Pour un club comme le nôtre, basé à Kankan, cela représente près de 1 000 kilomètres de déplacements. La logistique constitue donc l’un des plus gros postes de dépenses. La subvention fédérale, bien qu’utile, reste insuffisante. Mais il faut aussi reconnaître que les clubs sont des entités privées : chacun doit trouver les moyens de financer son équipe.
Votre club a franchi une étape importante. Désormais en Ligue 1, comment comptez-vous vous préparer pour vous maintenir et viser des places honorables dans ce championnat ?
Deux choses sont essentielles. D’abord, se conformer aux exigences de la Ligue 1. Cela concerne notamment la qualification du personnel technique. Les entraîneurs doivent avoir les diplômes requis, ce qui nous oblige à réajuster notre encadrement et à renforcer le staff.
Ensuite, il y a la question de l’effectif. Nous avons des points forts, mais aussi des domaines où nous devons absolument nous renforcer. Et même dans nos secteurs solides, il faudra prévoir des remplaçants de qualité, car une saison de Ligue 1 est longue et les adversaires sont très expérimentés : Hafia, Horoya, CIK, Wakriya, Milo, etc.
Cette première année sera un test. Notre objectif principal est le maintien. Nous avons toutefois un petit avantage : sur les cinq dernières années, nous avons affronté en Ligue 2 près de 7 ou 8 clubs actuellement en Ligue 1. Certes, ce n’était pas dans la même configuration, mais cela nous donne une certaine connaissance de nos futurs adversaires. Hormis les cinq grands contre lesquels nous n’avons jamais joué, nous pensons pouvoir défendre nos chances.
Votre club est composé essentiellement de joueurs locaux. Faut-il s’attendre à des recrues venues du championnat guinéen, voire de l’étranger ?
Du championnat guinéen, certainement. De l’étranger, ce n’est pas encore sûr. Nos recrues sont généralement des joueurs installés à Kankan pour diverses raisons : études, travail ou origine familiale. Déjà en Ligue 2, nous avons recruté un peu partout : Kindia, Conakry, Nzérékoré, Beyla, Siguiri, Kérouané, Kouroussa, etc. Ce n’est donc pas une nouveauté. Mais avec la montée en Ligue 1, il faudra évidemment renforcer l’effectif localement et voir ensuite, selon l’évolution de la saison, s’il est nécessaire de recruter au-delà.
Le Karfamoriah FC disputera sans doute ses matchs à Kankan, au stade M’balou Diakité comme le Milo. Comment cela va-t-il se passer ?
En Ligue 2, nous avons évolué à Kankan sans difficulté particulière. Le stade préfectoral de Kankan, qui est le stade historique du Milo, a toujours été accessible. Lors de notre première saison, nous étions dans la même poule que le Milo, et nous avons cohabité sans problème.
Ces cinq dernières années, même lorsque des clubs comme le Mandé ou l’Ashanti Golden Boys ont dû recevoir leurs matchs à Kankan (pendant les travaux de rénovation du stade Kankou Moussa de Siguiri), l’utilisation du stade n’a jamais posé de souci.
Le Milo est en première division, tout comme Karfamoriah. Deux clubs de la même préfecture : peut-on s’attendre à un véritable derby ?
Pour nous, villageois, jouer contre Kankan a toujours été vécu comme un derby. Je ne suis pas certain que les habitants de la ville le voient de la même manière, car les centres urbains se comparent rarement aux villages voisins. Mais cette rivalité amicale existe depuis toujours : Kankan et Karfamoriah sont comme des cousins.
Les chamailleries entre supporters, notamment sur les réseaux sociaux, relèvent presque de la normalité. Mais il faut souligner que, pour notre montée, nous avons bénéficié d’une solidarité exceptionnelle. Beaucoup de supporters venus de Kankan nous ont soutenus à Conakry, où nous avons passé près de deux mois.
Sur le plan sportif, nous avons déjà eu des confrontations avec le Milo, en Ligue 2 et même en Coupe de la Lonagui. C’est toujours resté bon enfant. Mais il faut être réaliste : aujourd’hui, le Milo est à un niveau bien supérieur au nôtre. C’est l’un des ténors du football guinéen, déjà sacré champion il y a deux ans et plusieurs fois engagé en compétitions africaines. Ils recrutent des internationaux locaux et disposent d’un effectif solide et expérimenté.
Nos rencontres resteront particulières, mais pour nous, ce sera surtout l’occasion de « tirer notre épingle du jeu » face à un grand adversaire.
Quels sont vos objectifs en accédant à la Ligue 1 ?
Clairement, il y a un changement de modèle. En Ligue 2, nous fonctionnions comme un club pépinière : nous révélions de jeunes joueurs, issus pour beaucoup du Cafique ou de l’Université, qui rejoignaient ensuite les clubs de Ligue 1. Le Milo, par exemple, a recruté plusieurs de nos talents. D’autres clubs comme l’Ashanti Golden Boys, le Loubha FC, le Gangan ou les Flammes Olympiques ont également bénéficié de joueurs passés par Karfamoriah.
Mais en Ligue 1, nous ne pouvons plus continuer sur ce modèle. L’objectif immédiat est de nous maintenir. Nous allons affronter des équipes historiques du football guinéen et africain comme le Horoya, le Hafia, le CIK, le Milo, le Wakriya et d’autres. Ce sont de grosses pointures. Pour exister face à elles, il faudra changer d’approche et renforcer notre compétitivité.
Parlons maintenant de l’équipe nationale, notamment du changement intervenu au sein du Syli avec l’arrivée de Paulo Duarte, qui succède à Michel Dussuyer. Quelle analyse faites-vous de ce choix ?
Écoutez, nous savons tous dans quelles conditions Michel Dussuyer est venu : il n’était pas véritablement candidat à la succession de coach Diawara. Ce qu’il faut saluer aujourd’hui, c’est que la sélection de Paulo Duarte s’est faite à travers un processus transparent et ouvert, suivi par tous. Nous espérons ainsi avoir choisi le meilleur profil possible.
Ses premiers pas sont rassurants. Pour quelqu’un comme moi qui observe ces questions de façon organique, ses objectifs sont clairs et il tient un langage de vérité. Notre football n’a pas enregistré de résultats significatifs depuis longtemps, et nos attentes sont bien plus élevées que ce que nous montrons sur le terrain. Sur ce point, ses premiers discours démontrent qu’il a saisi l’ampleur des défis.
Je pense que cette fois-ci, nous avons le bon technicien : franc, réaliste, et conscient que nous ne sommes pas au niveau que nous croyons être. Les résultats parlent d’eux-mêmes. Il y a beaucoup de travail à fournir, pas seulement au niveau des sélections nationales, mais aussi dans les clubs.
Un problème majeur reste la structuration du championnat national. Nous sommes l’un des rares pays où la deuxième division se joue presque uniquement sous forme de tournois. On organise des compétitions à Kankan, Labé ou Nzérékoré : quelques matchs, des play-offs, et en huit rencontres, tout est bouclé, alors que des dizaines d’équipes sont concernées.
La priorité devrait être que la Ligue guinéenne de football amateur organise des compétitions régulières. Ce sont ces clubs qui couvrent le territoire et qui permettent d’exploiter les talents qui existent partout, de Gaoual à Fria, en passant par Yomou, Koundara, Mali Yembering, etc. Sans cela, les mêmes problèmes perdureront. Car jouer à ce niveau permet non seulement de détecter des joueurs, mais aussi de former des entraîneurs, des arbitres, des médecins, des agents de sécurité, bref tout un écosystème indispensable à une organisation sportive performante.
La Guinée ne sera pas à la CAN 2025 au Maroc, et la qualification pour le Mondial 2026 semble compromise. Une grande déception selon vous ?
C’est une déception, bien sûr, mais aussi une logique implacable. Dans le football, vous êtes ce que vos résultats disent que vous êtes, pas ce que vous pensez être. Nous avons perdu une double confrontation contre la Tanzanie. Il est vrai aussi que nous n’avons pas pu jouer à domicile depuis deux ans, faute de stades aux normes internationales. Espérons que le calendrier soit respecté pour que nos deux principaux stades soient prêts d’ici décembre, afin de préparer les prochaines campagnes dans de meilleures conditions.
Je suis persuadé que si certains matchs s’étaient joués à Conakry, Kankan, Labé ou Kindia, les résultats auraient été différents. Mais au-delà de cela, il faut surtout continuer le travail de fond. Les résultats viendront et, avec eux, ces déceptions feront partie du passé.
Docteur, vous êtes un diplomate à la tête d’un club de football. Est-ce une reconversion ou la continuité d’une passion ancienne ?
J’ai toujours été passionné de football, bien avant d’administrer les affaires étrangères. C’est sans doute la diplomatie qui m’a éloigné de cette passion. Pour tout jeune Guinéen ayant grandi pendant la grande épopée du Afia dans les années 70, le football est presque une seconde religion.
Ce n’est donc pas nouveau. Ceux qui ne me connaissaient pas peuvent être surpris, mais c’est une part intégrante de ma vie. Maintenant que je ne suis plus ministre, je peux me consacrer davantage à mes passions et à mon travail.
Interview réalisée par Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
Créé le 20 septembre 2025 15:50
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